La genèse de la race Eurasier
L’histoire de l’Eurasier commence en 1960 quand Julius Wipfel (1913-2002) qui habitait alors Weinheim (Allemagne) a croisé un spitz-loup et un chow-chow. Le but de Julius Wipfel était de créer une race stable, en bonne santé et sociable ; en quelque sorte le chien de compagnie par excellence.
Pourquoi créer une race nouvelle alors même qu’il en existe tant ! La réponse, on la trouve dans la vie même de Julius Wipfel qui a laissé lors de sa mort toutes les données sur l’élevage dès les débuts. Julius Wipfel est né à Manheim, en Allemagne. Il a toujours été passionné par les expéditions polaires et a toujours possédé des chiens (toujours des races mélangées). Après la seconde guerre mondiale, les alliés, notamment les canadiens ont quitté l’Allemagne en laissant derrière eux leurs chiens. Julius Wipfel et son épouse Elfriede ont recueilli chez eux l’un de ces chiens de type chien de traineau et l’ont appelé « le Canadien ».
Ce chien était de couleur noire, d’origine inconnue, et ressemblait à un croisement avec un chien esquimau et un samoyède. Il avait la tête d’un loup et des oreilles droites. Très rapidement, le chien s’est adapté à eux et à leur fils en bas âge. Toutefois, il restait très peu fiable avec les étrangers. Ce chien a été le motif de la création d’une nouvelle race. Dans son livre « Eurasier », Julius Wipfel écrivait au sujet du « Canadien » : « ce chien était extrêmement intelligent et il avait un comportement indomptable et dangereux. Il a hurlé comme un loup et a tué tous les petits animaux qui ont traversé son chemin. Nous l’avons aimé », écrit Julius Wipfel, même si ce chien était « un diable bien-aimé » jusqu’à sa mort. Après sa mort, Julius et Elfriede Wipfel ont voulu retrouver un chien qui leur rappelait « le Canadien ».
C’est ainsi qu’ils ont accueilli chez eux Bella von der Waldmühle, une femelle spitz-loup. Le spitz-loup est l’une des plus anciennes races de chiens en Europe. L’apparence de Bella leur rappelait leur premier chien, mais le tempérament de Bella était bien meilleur. Ils ont élevé des spitz-loups et ont eu plusieurs portées. Après la guerre, le spitz-loup est tombé un peu en désuétude et les Wipfel ne perdaient pas de vue d’élever un chien dans lequel ils retrouveraient leur Bella et « le Canadien ». Ils décidèrent de se lancer dans ce projet. D’autre part, Julius Wipfel lisait beaucoup d’ouvrages et de travaux réalisés par Konrad Lorenz (zoologue et un ornithologue autrichien). Il était particulièrement intéressé par les témoignages de Konrad Lorenz sur le croisement accidentel d’un chow-chow et d’un berger allemand, notamment sur le tempérament des chiots. Aussi, Julius Wipfel projetait de rencontrer Konrad Lorenz pour lui parler de son projet. Dans l’attente, Julius Wipfel a étudié et expérimenté la génétique. Sur la base de ses travaux, il a décidé de croiser Bella avec un chow-chow, l’une des plus anciennes races dans le monde. Sa théorie était que le chow-chow avait le plus de « gènes primitifs ». De plus l’anatomie des ces deux races était très adaptée. Dans son schéma généalogique, Julius Wipfel a démontré que le chow-chow et le spitz-loup étaient au même niveau que les descendants des vieux chiens Canis familiaris palustris, le premier chien domestiqué par les hommes du néolithique, qui donna naissance aux deux branches de la famille des Spitz : européenne, dont on considère que le Spitz-Loup est le plus beau représentant, et asiatique, dont la forme la plus achevée est le Chow-Chow.
Mais il restait un long chemin à parcourir, car dans les descendances apparaissaient les qualités et les défauts des chiens primitifs. Au début de l’élevage, Julius Wipfel a nommé sa race Wolf-Chow. Son but était bien défini : « Ce doit être un type de chien Polaire avec des couleurs agréables et attrayantes.
Le chien doit avoir une distance suffisante avec les autres races et, enfin, il doit posséder un tempérament attrayant et sociable ». Il a rédigé un standard. Pour ses premiers croisements, Julius Wipfel a utilisé trois chow-chow mâles et quatre femelles spitz-loup. Les quatre chiennes avaient une ossature légère et une fourrure grise. Julius Wipfel a décrit les mâles comme « doggy » et les chiennes comme « Spitz types ». Il savait que ces croisements produiraient différents types de chiens, qu’il a isolés. Outre le « Mischtypen » (Type 1, mixte), chaque portée avait deux autres types, totalement différents. Julius Wipfel a nommé les autres types « type Wolf-Dingo (II) » et « Polar (III) ». Les types étaient présents dans toutes les portées. Le type Wolf-Dingo était de diverses couleurs, mais il ne convenait pas comme chien de compagnie. Le type III, le type « Polar », présent dans chaque portée avait une robe rouge jaunâtre et à l’âge adulte, il montrait les caractéristiques décrites dans le standard de la race. Julius Wipfel a écrit: « Seul le type III convient à l’élevage ».
A partir de la première portée, le 22 juin 1960 et jusqu’en 1972, Julius Wipfel contrôlait l’élevage chez 20 éleveurs afin que ces derniers respectent ses orientations. Il décidait notamment que le mâle le plus typique pouvait saillir telles ou telles femelles. Il était content des résultats mais la consanguinité augmentait. Il a essuyé quelques critiques et craignant de ne voir son projet aboutir, il s’est rapproché de l’université de Göttingen pour expliquer en détail son projet. Le docteur Ruth Gruhn lui a répondu qu’elle était intéressée par cette race « Wolf-Chow » et qu’il était dommage que le groupe génétique soit construit sur un seul mâle même si à ce stade de l’évolution, ce n’était pas grave. Ruth Gruhn était d’avis que Julius Wipfel devrait conserver la consanguinité et elle lui a conseillé de diviser les chiennes disponibles en cinq groupes. Ces groupes devraient être accouplés par cinq mâles différents. Elle a également conseillé un croisement entre frère et soeur. Dans sa lettre à l’Institut, Julius Wipfel avait également demandé s’il existait une relation entre la couleur rouge et le type désiré. Le Dr Gruhn a répondu que, selon elle, la combinaison de la couleur et du type dans les portées de J. Wipfel n’était qu’un hasard. Si J. Wipfel aimait cette couleur, il devrait – au détriment du type – choisir un mâle et faire son choix par la suite. J. Wipfel était satisfait de ses conseils et a estimé qu’il avait fait les bons choix.
Après l’élevage de 200 sujets Wolf-Chow, Julius Wipfel considéra que la race avait besoin de sang nouveau pour ce rapprocher du type « chien nordique » et s’écarter du type Wolf-Chow. Julius Wipfel a contacté Konrad Lorenz. Les deux étaient d’avis que la race devrait être améliorée en utilisant un Samoyède, un chien qui travaille sans relâche, aimable et sociable.
En 1972, cinq chiennes Wolf-Chow ont été accouplées à un samoyède, et Julius Wipfel a été surpris de voir que tous les chiots, issus de ces croisements, étaient noirs. Il fut également surpris que Konrad Lorenz lui acheta un de ses chiots. Julius Wipfel donna le nom d’Eurasier à cette race dont le standard fut accepté par la F.C.I. en 1973. La signification du nouveau nom est simple : la race doit son existence aux races européennes et asiatiques. La FCI a classé l’Eurasier dans le groupe 5 (Spitz et les types primitifs), section 5 (Spitz asiatique et races apparentées).
De Christine Raveau, d’après le livre « Eurasier » (Entstehung – Entwicklung – Gengenwart) de Julius Wipfel